Hauts de France - Roubaix-Tourcoing : patrimonialisation, reconversion et frontière comme leviers de la démarginalisation

L’image satellite présente la partie nord-est de l’agglomération de Lille, centrée sur Roubaix et Tourcoing, et se prolongeant à l’est vers la Wallonie belge. Cet espace est souvent perçu comme le versant le plus en difficulté de la métropole lilloise, marginalisé par la crise d’une industrie textile qui avait été le moteur de la croissance économique et urbaine pendant plus d’un siècle. Pourtant cette partie de l’agglomération est un espace divers dont les acteurs multiplient les projets visant autant à démarginaliser les friches et les poches de pauvreté qu’à ranimer une centralité érodée. L’agglomération de Roubaix-Tourcoing parvient aujourd’hui, certes inégalement, à s’intégrer dans une métropole lilloise en réseau. Elle bénéficie par ailleurs d’une situation géographique avantageuse, constituant le centre géographique de l’Eurométropole de Lille-Kortrijk-Tournai.

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Légende de l’image satellite

Cette imageprésentant les agglomération de Roubaix et Tourcoing, située dans le département du Nord, dans les Hauts-de-France, a été prise en2018 par un satellite Spot 6/7. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 1,5m.

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Présentation de l’image globale

Roubaix-Tourcoing : de la marge de la métropole lilloise au cœur de d’une Eurométropole transfrontalière

Le versant nord-est frontalier de l’agglomération
 
Nous sommes sur le versant le plus urbanisé de la métropole lilloise, au nord-est de l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing qui rassemble 1,1 million d’habitants dans sa seule partie française, 1,6 en prenant en compte son prolongement en territoire belge. La vaste tache urbaine étirée selon un axe sud-ouest / nord-est contraste nettement avec les paysages ruraux qui dominent au nord-ouest et à l’est, essentiellement au-delà de la frontière franco-belge.

Ici, les anciennes agglomérations de Lille d’une part (au sud-ouest de l’image), de Roubaix et de Tourcoing d’autre part (au centre et au nord) s’imbriquent et forment une vaste conurbation qui se prolonge bien au-delà du cadre ; à l’est de l’image, mais plus encore sur le flanc nord, elle chevauche la frontière et court sur plusieurs dizaines de kilomètres, intégrant dans un même continuum urbain Mouscron (dont on perçoit la partie méridionale), puis, hors du cadre, Comines et Courtrai (Kortrijk) .

Cette conurbation transfrontalière et multipolaire s’articule autour de grands axes routiers et autoroutiers (l’A22 entre Lille et Courtrai dessine la limite occidentale de l’agglomération) mais aussi d’un réseau fluvial qui a joué un rôle clé dans l’industrialisation et l’urbanisation du territoire au cours des deux derniers siècles.

On devine sans mal, au sud-ouest, la courbe dessinée par la Basse-Deûle, en aval de Lille dont elle traverse ici les communes de la banlieue nord (La Madeleine, Wambrechies) ; elle est reliée au canal de Roubaix, ancien « boulevard industriel » ouvert en 1877, dont on suit le tracé sur toute la largeur de l’image ; sa boucle supérieure traverse le nord de Roubaix puis il se prolonge vers l’est, rejoignant le canal de l’Espierres (années 1840) dont il constitue une extension. Le canal de Roubaix est ainsi la pièce centrale de la connexion entre la Deûle et l’Escaut.

Contrastes et recompositions de la banlieue lilloise

Sur la rive droite de la Deûle, au sud-ouest de l’image, on devine l’extrémité nord de la Citadelle et une partie du Vieux-Lille. Au-delà, ce sont les territoires de La Madeleine puis de Marcq-en-Barœul, où les branches du Grand Boulevard en forme de Y, connectant depuis un siècle Lille, Roubaix et Tourcoing, se rejoignent. Au sud du canal de Roubaix, on repère la forme oblongue de l’hippodrome Serge Charles au centre duquel est implanté le Golf des Flandres. Aménagé dans les années 1930 en périphérie de l’agglomération, il fut, comme on le voit, rattrapé par le front d’urbanisation. Il se situe aujourd’hui au cœur de la banlieue aisée de Lille.

Plus au nord encore, un axe routier (la D652) crée une rupture paysagère au sein de ce territoire que d’aucuns appellent « le triangle BMW » (Bondues, Marcq-en-Barœul, Wambrechies) regroupant des populations au niveau de vie globalement élevé. Au-delà de cet axe, au sein d’un espace nettement moins urbanisé, l’emprise du golf de Bondues (110 hectares) est bien visible ; autour de lui ont essaimé de nouveaux lotissements accueillant les zones pavillonnaires du Domaine de la Vigne où vivent notamment de grandes familles bourgeoises du Nord ; cet espace de loisirs, aménagé autour d’un château du XVIIIe siècle réhabilité dans les années 1960 et devenu le club house du golf, participe de l’essor démographique remarquable de Bondues, bourg de 3000 habitants dans les années 1960 qui en compte aujourd’hui plus de 10 000. La commune a attiré une population aisée désireuse de s’éloigner des cœurs urbains pour investir une campagne proche et convoitée.

La partie centrale de l’image montre le versant le plus en difficulté de la métropole, autour de l’ancienne agglomération de Roubaix-Tourcoing. Dès la fin du XIXe siècle, Roubaix, en s’étalant vers le nord le long des routes qui les connectaient, rejoignait sa ville-sœur. Une fois les tissus urbains des deux communes enchevêtrés, l’urbanisation s’est poursuivie vers le nord pour Tourcoing (hors cadre), vers le sud pour Roubaix et, pour toutes les deux, vers l’est, en direction de la Belgique. L’étalement est facilité par l’absence d’obstacle physique au sein de cette vaste plaine de Flandre.

Avant 1968, l’INSEE distinguait l’agglomération de Lille d’un côté, celle de Roubaix-Tourcoing de l’autre ; c’est à partir de cette date qu’elle prend acte de l’intégration morphologique en une seule entité urbaine. Si l’agglomération est longtemps dominée par trois pôles urbains possédant leur propre banlieue, l’association de Lille et de Lomme a permis au pôle lillois de conforter sa domination au sein de l’unité urbaine.

S’il est bien difficile, en observant l’image, de retrouver les limites des anciennes agglomérations, on remarque que le « collage » préserve un vaste espace verdoyant, au sud de l’image, qui constitue une discontinuité au sein du tissu urbain. Ici, au sud du parc Barbieux, le quartier Beaumont (habitat de type pavillonnaire) domine la vallée de la Marque et le bois privé de Warwamme (Villeneuve d’Ascq) ; ce dernier, entouré de prairies et de champs, forme un écrin de verdure de près de 40 hectares. Dans ce cadre dont le caractère champêtre est soigneusement entretenu, quelques belles demeures en brique, dont le château de la Fontaine qui accueille réunions et séminaires, offrent tranquillité et discrétion à leurs propriétaires.

Le rôle essentiel de l’industrie textile dans la production urbaine et sociale

La vaste conurbation résulte d’une croissance urbaine relativement brutale, du moins accélérée par l’industrialisation au cours du XIXe siècle.

Les noyaux primitifs de Tourcoing tout au nord (on repère la Grand Place au centre d’un plan originellement radioconcentrique) et de Roubaix à moins de 4 km au sud-est, étaient encore, à l’aube du XIXe siècle, les cœurs de deux bourgs bien distincts ; celui de Roubaix est né dans la partie la plus déprimée d’une forme de cuvette parcourue par un cours d’eau, le Trichon, sous-affluent de l’Escaut ; au-delà, tisserands et fermiers se dispersaient dans une dizaine de hameaux périphériques ; avant que les progrès des transports ne changent la donne, la situation de Roubaix, à l’écart des grands courants commerciaux, la pénalise par rapport à Tourcoing, mieux placée.

Si le travail des draps avait déjà contribué au développement de ces deux bourgs pendant l’Ancien Régime, il était sans commune mesure avec celui qu’accélère l’industrie textile au XIXe siècle. Pourtant, les deux villes restent compactes jusqu’aux années 1850. L’industrialisation y favorise la multiplication de quartiers mixtes au sein desquels s’imbriquent usines et logements ouvriers notamment sous la forme de courées qui prolifèrent et concentrent près de la moitié des maisons roubaisiennes en 1912.

L’industrie textile est le moteur d’une croissance économique et urbaine exceptionnelle, en particulier à Roubaix que cette mono-activité transforme en « ville-usine ». L’accroissement démographique inédit que connaît la ville lui vaut d’être qualifiée de « ville-champignon » ou de « petit Chicago » : alors qu’on recensait moins de 8 000 habitants à l’aube du XIXe siècle, elle en compte 124 661 en 1896 ; la croissance est forte aussi à Tourcoing, passée de 10 000 à 73 000 habitants sur la même période.

Cette croissance repose notamment sur une forte immigration. À Roubaix, la part des étrangers croît jusqu’à représenter 55,4% de la population en 1872 ; l’immigration provient alors presque exclusivement de Belgique ; elle donne à la ville un caractère cosmopolite qu’elle a conservé ; la population immigrée constitue en 2016 plus de 21% de sa population, majoritairement venue du Maghreb, d’Algérie surtout.

L’essor démographique qui, jusqu’alors, s’était fait sans véritable extension spatiale, suscite un étalement urbain facilité par l’amélioration des transports (tramway électrique dans les années 1880) ; il se fait surtout vers la Belgique, à l’est, l’agglomération atteignant Mouscron dès la seconde moitié du XIXe siècle. Il se poursuit ensuite vers le sud, régulé par des opérations d’urbanisme rares jusqu’alors : le parc Barbieux est aménagé (zoom 4), de grandes artères sont percées, de nouveaux quartiers résidentiels sont créés (le Nouveau Roubaix, les Hauts-Champs) pour répondre aux besoins en logements (des bâtiments collectifs, de type HBM dans l’entre-deux-guerres, puis HLM).

Crise industrielle, sociale et urbaine

L’industrie textile a forgé l’agglomération, sa forme, les réseaux qui la structurent, ses îlots, la diversité de son bâti, son riche patrimoine industriel. Ce dernier reste omniprésent, sous la forme de cheminées d’usines, de filatures réhabilitées et pensées comme des châteaux de l’industrie à valoriser (zoom 1), de formes d’habitat telles que les forts et les courées.

Ce patrimoine est aussi le rappel d’une centralité perdue, alimentant, pour reprendre les mots qu’Arnaud Desplechin place dans la bouche du lieutenant dans Roubaix, une lumière (2019) : « le sentiment blessé d’avoir compté et de n’être plus rien ». Le déclin de l’industrie textile qui avait cousu le tissu urbain et inspiré des sociabilités fortes à l’échelle des quartiers provoque de multiples déchirures au sein de l’agglomération. La désindustrialisation a commencé ici dès les années 1960, accélérant la réorientation des capitaux de la bourgeoise locale vers les nouveaux secteurs (distribution, vente par correspondance).

Pendant un demi-siècle, les friches industrielles se multiplient dans le paysage, notamment le long du canal de Roubaix devenu répulsif ; les quartiers d’habitat ouvrier, insalubres, sont marginalisés ; la population chute : à Roubaix, elle est passée de 125 000 à moins de 97 000 habitants. Le taux de chômage y atteint des niveaux records (30% de la population active depuis les années 2000) et la ville est l’une de celles où le taux de pauvreté est le plus élevé (44 % en 2016) ; signe de l’ampleur de la crise, 77% des habitants vivaient en Zone Urbaine Sensible à la fin des années 1990 ; ces données nourrissent aussi, en retour, la stigmatisation et la marginalisation de Roubaix en particulier.

Une forte fragmentation socio-spatiale à toutes les échelles

Loin d’être une aire de pauvreté homogène, cette partie de l’agglomération constitue un espace très fragmenté.

Tourcoing et Roubaix sont limitrophes de communes bien plus riches comme Bondues (au nord-ouest) ou Croix, au sud-ouest de Roubaix. Mais les contrastes socio-économiques sont aussi très forts à l’échelle intracommunale, parfois d’un quartier à l’autre, d’une rue à l’autre, comme le rappelait déjà le film La Vie est un long fleuve tranquille d’E. Chatillez en 1988. Si Roubaix est l’une des villes les plus pauvres de France, celle qui fut à la fois l’un des berceaux du socialisme et des grandes dynasties de la bourgeoisie industrielle, est aussi l’une des plus inégalitaires.

Certains vieux quartiers ouvriers comme le Pile (zoom 2), les Trois-Ponts, l’Hommelet, l’Alma, à l’est du centre-ville, restent des marges désertées par les classes moyennes, concentrant une population pauvre, précaire, souvent immigrée ; elles sont la cible, très tôt, de politiques de la ville diverses, Roubaix apparaissant comme un palimpseste révélateur des évolutions de l’action publique dans ce domaine depuis quatre décennies.

Ces marges roubaisiennes font partie de la plus vaste ZSP (zones de sécurité prioritaire créées en 2012 pour lutter contre les formes de délinquance et de violences urbaines) qui s’étend sur les communes de Wattrelos et de Tourcoing. Roubaix comme Tourcoing comportent pourtant des poches aisées, vers la campagne étendue vers l’ouest pour la seconde, le long des boulevards menant à Lille et autour du parc Barbieux pour la première (zoom 4).

Des projets pour réaffirmer la centralité de Roubaix et de Tourcoing

Si Lille domine l’agglomération, il convient de relativiser la marginalité de Roubaix et de Tourcoing qui restent des pôles attractifs pour les habitants des communes limitrophes. Roubaix est le deuxième pôle de la métropole (47 000 emplois), devant Tourcoing (35 000) ; elle attire des navetteurs de Hem, Croix, Leers ou Wattrelos et le solde entre les entrées et les sorties quotidiennes y est nettement positif ; Tourcoing échange de façon plus équilibrée avec les communes voisines (Roncq, Neuville-en-Ferrain).

Comme le montre l’image, la connexion entre Lille et Roubaix-Tourcoing, un temps négligée, s’est améliorée ; l’inauguration tardive, en 1989, de la ligne 2 du métro connectant les trois pôles témoigne d’une volonté de Pierre Mauroy (maire de Lille et président de la Communauté urbaine) de réintégrer Roubaix et Tourcoing au sein d’une métropole qui devait être multipolaire. Loin d’être des périphéries délaissées, les villes contribuent à la dimension métropolitaine de Lille (sièges sociaux de firmes nées dans le Roubaisis – Auchan, Damart, secteur de la distribution, des assurances) ; les géants du textile investissent et innovent pour rester compétitifs, comme le montre Quai 30 (Wattrelos), le nouveau centre logistique de La Redoute, bien identifiable au nord de l’image (série d’entrepôts qui forment un grand rectangle blanc).

À l’échelle communale cette fois, les autorités urbaines de Roubaix et de Tourcoing s’efforcent de récréer de la centralité. Cela passe par des opérations ambitieuses de renouvellement urbain, de reconquête du centre-ville (zoom 1) mais aussi par la mise en œuvre, sur des espaces en marge, de grands projets d’envergure métropolitaine (le pôle de l’Union, au nord du canal de Roubaix, zoom 3).

La frontière, vectrice de démarginalisation ?

La frontière franco-belge, dont on observe ici un fragment, constitue une longue dyade étendue sur 620 km. Son tracé, sur un espace jusqu’alors continu, n’avait rien d’évident et fut le fruit de négociations menées entre le règne de Louis XIV (traitées des Pyrénées, d’Utrecht) et la seconde moitié du XVIIIe siècle.

La frontière enserre sur trois côtés l’agglomération de Roubaix-Tourcoing ; la partie que montre l’image, séparant la France de la Wallonie, ne constitue pas une barrière linguistique puisque le français est la langue usuelle des deux côtés, ce qui n’est plus le cas quelques kilomètres au nord quand la frontière longe la Flandre néerlandophone. La rupture paysagère est très relative puisque l’urbanisation chevauche, parfois de longue date, la dyade et se prolonge en Wallonie à plusieurs endroits : entre Tourcoing et Mouscron, entre Wattrelos et Estaimpuis, entre Leers et Leers-Nord et, de manière moins spectaculaire, entre Toufflers et Néchin au sud-est de l’image.

La dimension transfrontalière de l’agglomération est toutefois plus affirmée encore en dehors du cadre, notamment le long de la Lys qui sépare Comines de son homonyme wallonne, puis les communes françaises de Wervicq-Sud ou de Halluin de leurs jumelles flamandes que sont Wervik ou Menen.

Si les réseaux de transport ont eu tendance, dans le passé, à être pensés selon des logiques nationales, parallèlement à la frontière, l’image montre que l’urbanisation avance le long de multiples routes, de canaux ou de voies ferrées. Dès le XIXe siècle, ces dernières facilitent le franchissement de la frontière pour des milliers de travailleurs belges qui viennent répondre aux besoins en main d’œuvre de l’industrie textile.

La construction européenne a permis le démantèlement progressif des obstacles au franchissement de la frontière. Cette dernière, ouverte, devient une interface parcourue par des mobilités multiples, de travail comme de récréation (zoom 5). Si les travailleurs frontaliers français en Belgique restent les plus nombreux (23 700 en 2017), leur effectif diminue ces dernières années tandis que le nombre de travailleurs frontaliers belges dans les Hauts-de-France progresse (10 500).

De la même manière qu’elle nourrissait hier la contrebande, elle est aussi une ressource pour les trafiquants de drogues qui mettent en réseau l’agglomération, la Belgique et les Pays-Bas plus au nord. La discontinuité fiscale offerte par la frontière inspire aussi de nouvelles stratégies d’habitat. Au sud-est, au-delà de la commune de Toufflers, l’urbanisation se prolonge de manière linéaire du côté belge le long de la rue de la Reine Astrid à Néchin, parfois surnommée le « boulevard des Mulliez », en référence au fondateur du groupe Auchan, très médiatisée lors de l’installation de l’acteur Gérard Depardieu en 2012.

La formation de la conurbation transfrontalière, l’intensité des flux et des projets favorisés par INTERREG dès les années 1990, débouchèrent presque naturellement sur l’institutionnalisation d’une métropole transfrontalière, l’EuroMétropole Lille Kortrijk-Tournai (2,1 millions d’habitants) pensée comme un laboratoire de la coopération territoriale. Marginalisée, l’agglomération de Roubaix-Tourcoing se trouve désormais au cœur d’une interface en construction.

Zooms d’étude   


Les dynamiques de la centralité dans le centre-ville de Roubaix

La mise en valeur du patrimoine

L’image illustre le renouvellement dont le centre-ville de Roubaix fait l’objet depuis une trentaine d’années. Au sud, la Grand Place, cœur originel de la ville, sépare l’église Saint-Martin de l’imposant hôtel de ville. Ce dernier, construit par Victor Laloux à la faveur de l’Exposition internationale accueillie en 1911, inscrit dans la pierre la réussite industrielle de la ville (le maire en est alors l’industriel Eugène Motte, l’un des grands noms du patronat local). Il rappelle la centralité ancienne de Roubaix qui concentrait, pendant l’âge d’or de l’industrie textile, des fonctions que l’on qualifierait aujourd’hui de métropolitaines (bourse de la laine).

Autour de la Grand Place, plusieurs espaces témoignent de tentatives visant, à partir des années 1980, à reconquérir, via un réinvestissement public massif, un centre-ville dont la centralité était faible.

Dans la boucle formée par le vaste boulevard du Général Leclerc, au sud-est de l’image, l’ancienne filature Motte-Bossut abrite les Archives Nationales du Monde du Travail. Aucun site industriel plus que celui-ci, avec ses allures de forteresse, son donjon, ses créneaux, l’entrée en forme de pont-levis ajoutée plus tard, ne mérite mieux le titre de « château de l’industrie ». Si la « filature monstre » est, lorsqu’elle ferme ses portes en 1982, le seul édifice industriel de la région inscrit à l’inventaire des Monuments historiques, la Municipalité qui en est devenue propriétaire y vit pourtant, dans un premier temps, une verrue dans le paysage, une friche qu’on rêvait de raser au profit d’une nouvelle gare routière. Le choix de valoriser ce patrimoine industriel marqua pourtant, à la fin des années 1980, l’acte de naissance d’une politique de patrimonialisation des grands sites de l’industrie devenue centrale à Roubaix (comme à Tourcoing).

La réhabilitation de l’usine, pilotée par l’architecte Alain Sarfati entre 1989 et 1993, devait favoriser la reconversion du site, pensé comme une nouvelle centralité. Elle accueillit ainsi Eurotéléport, un centre international de communication satellite au service des entreprises ; dépassé par la révolution Internet, le projet échoue toutefois et le nom Eurotéléport n’est plus désormais que celui de la station de métro voisine.

La création d’une centralité commerciale

Quelques mètres derrière l’usine, le centre Mc Arthur Glen s’inscrit dans un vaste projet de réaménagement de l’espace public à la fin des années 1990 visant à créer une centralité commerciale dans une ville qui manquait d’attractivité dans ce domaine. Dans l’angle sud-est, on perçoit la rue piétonne autour de laquelle est implanté en 1999 le centre de marques. L’espace, qui regroupe 70 boutiques (Nike, Lacoste, Calvin Klein) sur une surface de vente de 15 000 m2, prend la forme d’un mall linéaire à ciel ouvert, bordé de constructions basses, centré sur une rue de 300 mètres qui rappelle la main street des parcs Disney. Cet équipement fut aménagé sur la friche d’un centre commercial de béton, Roubaix 2000, déjà pensé, en 1972, comme un outil de régénération du centre-ville mais finalement démoli. Le projet implique une recomposition de l’espace, permettant de retrouver le tracé originel de la rue de Lannoy qui avait été enfouie, mais entraînant aussi la privatisation d’une partie de l’espace public.

Avec cette centralité et « l’Usine », vaste village de marques outlet situé au sud-est de la ville, Roubaix se présente comme « la capitale des bonnes affaires » et mise sur une forme de tourisme commercial. Cette nouvelle centralité bénéficie d’une accessibilité renforcée : on repère plusieurs parkings créés autour du site et, surtout, le pôle d’échanges Eurotéléport sur le boulevard du général Leclerc, intégrant le terminus du tramway Lille-Roubaix, une station de métro et une gare d’autobus (reliée à Mouscron). De l’autre côté du boulevard, un vaste centre commercial, l’Espace Grand’Rue, sur 18 000 m2, renforce cette centralité commerciale.

Le projet nourrit aussi la création d’emplois qui viennent s’ajouter à ceux nés de la ZFU (zone franche urbaine) locale. Mc Arthur Glen attire 1,5 million de visiteurs par an, majoritairement venus de la métropole lilloise et de Belgique. L’enjeu reste de mieux articuler cette centralité avec le tissu urbain local et notamment avec les nouvelles centralités qui émergent plus loin.

L’émergence d’un quartier créatif autour d’un haut lieu du tourisme roubaisien

L’avenue Jean Lebas, suivant une direction nord-ouest / sud-est, relie l’hôtel de ville à la gare. Cet axe constitue la colonne vertébrale du « quartier des modes », un quartier créatif et culturel que la ville, avec le soutien de la MEL (Métropole européenne de Lille), entend faire émerger en s’appuyant sur la mémoire de l’industrie textile et sur les atouts déjà présents sur le site.

Au nord de l’avenue, dominent deux écoles prestigieuses dans le domaine des arts et métiers textiles : l’ESAAT (entre le bâtiment en forme de L et celui en demi-lune), l’Ecole Supérieure des Arts Appliqués et Textile et, sur sa droite, l’ENSAIT, née à la fin du XIXe siècle, qui est l’une des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs textiles d’Europe.

Face à cette dernière, de l’autre côté de l’avenue, une sorte de petite place a été aménagée en amont de l’ancienne piscine Art Déco inaugurée en 1932 et qui accueille, depuis 2001, le Musée d’Art et d’Industrie ; ce dernier est devenu un haut lieu de la ville, son principal pôle touristique, attirant quelques 200 000 visiteurs par an. L’enjeu est d’en faire un levier susceptible de dynamiser l’espace environnant, comme en témoigne le « fil de brique » tracé sur le sol par l’office de tourisme, invitant les visiteurs à partir à la découverte d’autres lieux remarquables du centre roubaisien.

Dès 2002, le Musée est intégré au projet « quartier des modes » qui vise, en s’appuyant sur les équipements, sur le bâti et sur les acteurs déjà présents (Vépécistes, tissu de PME dynamiques, établissements de formation supérieure) à faire naître un écosystème susceptible d’attirer les « classes créatives ». Des boutiques-ateliers de créateurs et des espaces collectifs sont créés le long de l’avenue : les premières cellules sont louées dès 2013 ; huit d’entre elles sont réunies au sein du Vestiaire, un bâtiment en shed contigu à la Piscine, réhabilité en 2008 dans un esprit loft. Les aménagements, co-financés par la Ville et la MEL, sont réalisés par la SEM Ville Renouvelée.

Toutefois, pour le visiteur, la lisibilité de ce quartier reste faible et le bilan des installations de créateurs est mitigé, ces derniers vendant difficilement leurs créations, peu adaptées à la population locale tandis que les clients potentiels s’aventurent peu jusqu’ici. Si le Musée de « la Piscine » est un incontestable succès, il apparaît encore comme une « bulle touristique » qui peine à répandre son dynamisme dans l’ensemble du quartier.


L’inégale « reconquête » des marges à l’est de Roubaix



La reconquête en cours du canal de Roubaix et de ses friches industrielles

4Le zoom est centré sur le canal de Roubaix qui, connecté au canal de l’Espierre à l’est, assure la liaison entre le bassin de la Deûle et celui de l’Escaut. Ouvert en 1877, il devient rapidement un boulevard industriel par lequel transitent à la fois la laine, le coton ou le charbon à destination des usines et les produits textiles destinés à l’exportation. La crise de l’industrie textile ralentit les circulations et la voie prend des allures de friche linéaire désormais répulsive. En 1985, elle est fermée à la navigation et on pense même, un temps, la combler au profit d’une voie urbaine rapide ; le canal s’envase, les écluses et les ponts, tels que ceux qui apparaissent ici, ne sont plus entretenus, le canal est marginalisé.

L’image témoigne pourtant d’une reconquête en cours, impulsée dès le milieu des années 1990 ; elle débouche sur le plan Blue Link qui permet de rouvrir les écluses et de rétablir la navigation en 2011 ; les berges sont réaménagées, une véloroute y est implantée, le canal redevient un espace de loisirs approprié par la population.

A l’est de l’image, la vaste étendue verdoyante marque l’ancien site de l’usine PCUK (Produits Chimiques Ugine Kuhlmann) installée en bord d’eau sur les communes de Wattrelos et de Leers, fermée en 1984. La friche marque, pendant une vingtaine d’années, le paysage local. La production de chrome a favorisé la naissance du grand terril Rhodia -  la forme grisée située au nord du site – qui voisine le petit terril de chrome plus bas. En face, de l’autre côté de la promenade aménagée pour les piétons et les cyclistes, domine le vaste terril de phosphogypse. Au bord du canal, on devine encore la forme des deux bassins de décantation qui se situaient à l’est d’une usine démantelée.

C’est en 2004 que la MEL charge l’Etablissement Public Foncier Nord-Pas-de-Calais de piloter la requalification du site, alors considéré comme le plus pollué de la métropole, en lien avec Rhodia Chimie, propriétaire des terrils de charrées de chrome. Les travaux commencent par la lente dépollution des sols et par la démolition des usines. Des zones humides sont créées, des milliers de végétaux sont plantés, on met en scène une « nature » retrouvée ; le site, qui devient un vaste espace naturel atypique propice à l’observation de la faune et de la flore, est intégré à l’Espace Naturel Métropolitain.

La requalification en débat du quartier du Pile

De l’autre côté du canal, au sud-ouest, le vieux quartier ouvrier du Pile est devenu l’un des plus pauvres de Roubaix. Il est toujours couvert d’îlots et de rangées de maisons individuelles hérités de la période industrielle, de « forts » et de « courées » (alignements de maisons en rangées organisées autour d’une petite cour à laquelle on accède depuis la rue par un passage étroit). Ces habitations, manquant de luminosité, souvent mal isolées, humides, insalubres, ont fait l’objet de nombreuses destructions ou réhabilitations.

Le quartier du Pile est identifié comme une marge en voie de ghettoïsation par les pouvoirs publics ; de nombreuses rues du quartier portent les traces de cette marginalisation : séries de maisons murées ou à l’abandon, friches commerciales, dégradation du cadre de vie. Les sociologues soulignent qu’il est aussi vécu comme une « centralité populaire » par ses habitants qui redoutent les effets des projets urbains (la marge est par ailleurs, comme souvent, une centralité informelle majeure).

Depuis 2013, le Pile est la cible d’un vaste programme métropolitain de requalification des quartiers anciens délabrés (PMRQAD) impulsée par la Ville et la MEL, soutenu par l’ANRU, porté par « La fabrique des Quartiers » (projet nommé « Pile fertile »). Ce projet prônant une dédensification, une mixité sociale, un accroissement des espaces verts, implique des destructions de maisons mal vécues localement.


Créer une centralité métropolitaine entre Roubaix, Tourcoing et Wattrelos

Le 3e focus se situe à la jonction des communes de Tourcoing, à l’ouest de l’image, et de Roubaix. Le canal de Roubaix, qui traverse les deux communes, est prolongé vers le nord par l’embranchement du canal de Tourcoing, d’une longueur de 1,6 kilomètre, ajouté en 1892.

C’est sur cet espace apparemment périphérique, sur d’anciens sites industriels et résidentiels, que se déploie « l’Union », l’un des cinq grands pôles d’excellence métropolitaine de la MEL ; celui-ci résulte d’un projet de renouvellement urbain pensé sur un site de 80 hectares longeant globalement le canal de Roubaix et s’étendant à la commune de Wattrelos plus à l’est. Ce projet, dont la réalisation est confiée à la SEM Ville Renouvelée, vise à faire émerger un quartier central, attractif, mixte (activités économiques, équipements majeurs, logements, espaces de nature) en y intégrant un patrimoine industriel particulièrement dense et en redonnant au canal sa fonction liante.

La Plaine Images : un pôle dédié aux industries créatives

L’un des pôles de l’Union apparaît au sud-ouest ; on y repère, sur un périmètre de 5 hectares, les contours de l’ancien îlot Vanoutryve né dans les années 1870 dominé par les hauts bâtiments en briques rouges de l’usine de tissu d’ameublement de cette puissante société ; l’îlot devient un véritable quartier faisant travailler à son apogée jusqu’à 7 000 ouvriers mais est marginalisé par la fermeture de l’usine en 2004.

Au cœur l’îlot a été aménagée la Plaines Images, qui chevauche les territoires de Tourcoing et de Roubaix ; elle constitue un pôle consacré aux industries créatives en lien avec l’image (jeu vidéo, réalité virtuelle, communication), un cluster associant 125 entreprises, 3 écoles, 2 centres de recherche. La Plaine Images intègre divers éléments du patrimoine industriel qui ont été réhabilités et adaptés à de nouveaux usages. Alors que les constructions qui couvraient le cœur de l’îlot, jugées de moindre valeur, ont été détruites, on a conservé les plus grands monuments de briques rouges qui le délimitaient : les anciens magasins, longeant le boulevard d’Armentières, accueillent dès 2007 la société Ankama, référence dans le domaine du jeu vidéo ; de l’autre côté de l’îlot, l’ancienne teinturerie est devenue un pôle audiovisuel doté de studios d’enregistrement ; sur sa droite, la retorderie de 1873 est aujourd’hui l’Imaginarium, incubateur de projets et centre névralgique du site.

C’est ici qu’en 2017 le président Macron présente symboliquement sa vision de la politique de la ville. À l’angle de l’îlot, la Chaufferie est un lieu consacré à l’événementiel. Si la mise en scène de l’espace multiplie des références au passé industriel du site (grue à charbon sur le toit de la Chaufferie, cuves géantes installées à l’entrée du quartier), censées renforcer la capacité du projet à « faire territoire », d’autres constructions contemporaines (bureaux) devraient progressivement occuper l’espace central dégagé.

La thématique de l’image est également incarnée, à l’ouest, par le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, implanté depuis 1997 dans le bâtiment massif (en forme de trapèze blanc sur l’image), au sein d’un complexe de loisirs réhabilité par l’architecte Bernard Tschumi ; la Plaine Images intègre aussi, à l’est, le siège de Pictanovo, outil de mise en œuvre de la politique audiovisuelle et cinématographique des Hauts-de-France.

Le CETI : un centre de recherche qui rappelle que le textile reste un secteur stratégique

Plus à l’est, dans la partie nord de l’image, l’espace largement végétalisé constituera le cœur de l’écoquartier de l’Union mêlant logements, bureaux, espaces verts. Un vaste bâtiment y semble encore isolé: il s’agit du CETI, le Centre européen des textiles innovants ; implanté ici dès 2012, ce centre de recherche dédié aux nouvelles applications textiles témoigne d’une stratégie de reconquête de la centralité et de la métropolité inscrite dans une forme de continuité avec la tradition industrielle du territoire ; le CETI est aussi un haut lieu du pôle de compétitivité UP-Tex, dédié au textile innovant, qui a fusionné en 2019 avec le pôle de Matikem (chimie verte et écomatériaux) pour former EuraMaterials.

Les espaces situés au nord du bâtiment accueilleront des entreprises du même secteur. À droite, la parcelle se couvrira de logements. Sur la gauche du CETI, d’autres lieux confortent la centralité du quartier telle que la Tour Mercure, dominant le paysage en recomposition, où se trouve le nouveau siège de Lille Métropole.

Le complexe de Kipsta : une friche réinvestie par le groupe Décathlon

En longeant le canal, on observe enfin, dans l’angle nord-est, l’ancien site de la brasserie Terken, autre élément patrimonial réintégré ici pour accueillir le vaste complexe dédié à l’enseigne Kipsta (Decathlon) ; l’usine à gaz a été détruite pour implanter le Kipstadium et ses multiples terrains de pratique sportive nécessaires à l’entreprise ; plusieurs bâtiments, halles et la tour emblématique de Terken ont par contre été conservés pour installer les bureaux, le centre de recherche de Kipsta et un magasin qui, faute de clients, a fermé ses portes.

En marge de ce projet de renouvellement urbain, le quartier de l’Alma

L’image permet d’opposer deux types de projets urbains révélateurs de deux époques. Au sud-est, le quartier de l’Alma fit l’objet d’un programme de restructuration médiatisé au tournant des années 1980, censé insuffler le développement social dans ce quartier ouvrier défavorisé. La spectaculaire opération de rénovation urbaine fit naître les nombreux immeubles en briques rouges actuels, alors présentés comme des logements plus confortables pour les familles ouvrières. Les courées ont été réaménagées, on a implanté des parcs entre les résidences pour favoriser les interactions sociales.

Si on entendait, initialement, attirer ici de nouvelles populations au nom de la mixité, on a finalement privilégié le relogement des habitants dans des logements sociaux. La marginalisation du quartier s’est depuis accélérée. Les coursives ouvertes sur l’extérieur ont été fermées pour endiguer le trafic de drogue. L’Alma fait l’objet d’un nouveau Programme National de Rénovation Urbaine (démolitions d’îlots, réhabilitations de logements, création d’espaces et d’équipements publics) en 2020.


Le parc Barbieux, au cœur des beaux quartiers

Un poumon vert habité

À gauche de l’image, étiré suivant un axe Nord-Est – Sud-Ouest, le Parc Barbieux est le plus grand parc urbain au nord de Paris. Un temps partagé en deux, la commune de Croix cède finalement la partie sud à Roubaix en 1919, le parc créant depuis une discontinuité au sein du tissu croisien.

Ce parc est un poumon vert de 34 hectares au sein d’une métropole qui en manque ; comportant plus d’une soixantaine d’essences d’arbres, il est inscrit à l’inventaire supplémentaires des monuments historiques en 1998 ; il s’agit aussi d’un espace de loisirs (pédalo, manèges) accessible en tramway et très prisé de la population.

Il s’étire sur 1,5 kilomètre, longé de part et d’autre par deux avenues qui se rejoignent, au sud, pour s’intègrer aux branches en Y du Grand boulevard qui connecte depuis 1909 Roubaix, Lille et Tourcoing. Le parc et ce Grand Boulevard ont d’ailleurs été aménagés à la même époque. C’est sur ce site alors vallonné qu’avait commencé le creusement du canal de Roubaix censé passer sous la colline de Croix ; les travaux, pourtant bien engagés, cessèrent à la suite d’éboulements et le tracé du canal fut réorienté. Parmi les projets de réaménagement du terrain abandonné, la Ville choisit celui d’un parc à l’anglaise, composé de grottes, de cascades, de plans d’eau, dessiné selon les plans du paysagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps. Les travaux s’étalèrent essentiellement de 1878 à 1906.

Un quartier convoité

Le parc, originellement situé en périphérie sud de l’agglomération de Roubaix fut, à partir de l’entre-deux-guerres, progressivement rattrapé par l’urbanisation qui prit surtout la forme de quartiers résidentiels aisés à ses abords immédiats ; les divisions parcellaires successives favorisent la création de lotissements pavillonnaires structurés autour de petites rues sinueuses et souvent en impasse ; ils voisinent de grandes maisons bourgeoises construites sur de vastes propriétés aux jardins boisés.

La Villa Cavrois (à Croix), dont on repère le jardin au sud de l’image, en constitue un exemple original ; commandée en 1929 par Paul Cavrois, industriel du textile, à l’architecte Robert-Mallet-Stevens, figure du courant moderniste, elle se trouve dans le riche quartier Beaumont. Au sud-ouest de l’image, dans l’angle formé par l’avenue de Flandre et la rivière la Marque, l’imposant bâtiment en forme de « t » accueille le centre de formation des employés d’Auchan et fait face à la propriété de la famille Mulliez ; ce quartier, prisé par la bourgeoisie locale, renferme, à l’abri des regards, de grandes propriétés, parfois accessibles par des voies privatisées (l’avenue Brame) assurant une forme d’entre-soi. Ce qu’on appelle localement le quartier « Barbieux » est ainsi associé aux quartiers chics de Roubaix, que l’on oppose volontiers aux quartiers du Pile ou des Trois Ponts pour résumer l’ampleur de la fragmentation socio-spatiale.

Les habitants de ces quartiers résidentiels doivent aujourd’hui cohabiter avec de nouvelles fonctions. A l’est, les résidents des immeubles du Domaine des Cascades (six blocs édifiés en lisière du parc au début des années 1980) ont désormais pour voisin le vaste campus de l’EDHEC, prestigieuse école de commerce accueillant quelques 7 000 étudiants. Au sud, la Villa Cavrois, abandonnée dans les années 1980 mais sauvée de la destruction grâce à son classement au titre de monument historique, bénéficia d’un vaste chantier de restauration achevé en 2015 ; elle s’impose depuis comme un pôle touristique qui génère une agitation nouvelle au cœur de ce quartier résidentiel.


Tourcoing-Wattrelos / Mouscron, de la marge frontalière à l’interface

Une frontière rattrapée par l’urbanisation

 Il est bien difficile d’identifier au premier coup d’œil le tracé de la frontière franco-belge sur cette image, centrée sur la jonction entre, à l’ouest, les communes françaises de Tourcoing (dans l’angle nord-ouest) et de Wattrelos et, à l’est, Mont-à-Leux, quartier frontalier de la commune wallonne de Mouscron (58 164 habitants). Au sud, la frontière suit une rangée d’arbres puis un talus qui séparent des terres inégalement mises en valeur : côté français, le terrain de la carrière Cocheteux, couvert de rares maisons isolées et de quelques jardins ouvriers, a été déclassé par la mairie pour accueillir un projet immobilier ; côté belge, les champs laissent place, plus au nord, au Parc du Mont-à-Leux. Dans la partie septentrionale, la frontière se faufile entre les maisons, dessinant un tracé très irrégulier. Elle passe, sur une cinquantaine de mètres, au milieu la rue du Vieux-Bureau - qui devient la N514 côté belge - puis longe la limite de diverses propriétés dont celle d’une maison qu’elle semble presque, à cette échelle, traverser. Plus au nord encore, elle sépare deux rues presque symétriques : la rue Six, à Wattrelos, et la rue Henri Dunant, à Mouscron, en réalité unies par un étroit chemin permettant de passer de l’une à l’autre à pied ou en vélo.

La jointure entre les parties française et belge de l’agglomération se prolonge et se densifie au-delà du cadre. L’extension urbaine de Mouscron en direction de la frontière et en prolongement de l’agglomération lilloise, est un processus ancien, déjà activé dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’urbanisation s’accélère autour du hameau de Mont-à-Leux et le long de la frontière, révélant une organisation spatiale favorisée par le différentiel économique entre les deux pays ; la multiplication des usines du côté français attire les travailleurs belges qui, dès la fin du XIXe siècle, privilégient les mobilités pendulaires aux migrations, nourrissant la croissance démographique et spatiale des villes belges proches de Roubaix-Tourcoing. Au début du siècle suivant, des industriels du Nord exploitent à leur tour le différentiel créé par la frontière (fiscalité et taux de change avantageux) et investissent dans des usines à Mouscron, favorisant ainsi une diffusion de l’industrie textile de part et d’autre de la dyade.

Une frontière ouverte

Le franchissement de la frontière est d’abord assuré ici par la N514 (rue du Vieux-Bureau), mais aussi par la voie ferrée, au sud-est, qui connecte Lille, Roubaix, Tourcoing, Mouscron et Kortrijk. L’Union européenne permit, à la faveur des premiers programmes Interreg (I et II), d’améliorer les liaisons transfrontalières au sein de la COPIT (Conférence Permanente Intercommunale Transfrontalière qui déboucha sur la naissance de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai en 2008) ; dès 1992, une ligne de bus transfrontalier relie Mouscron à Wattrelos, prolongée en 1995 jusque Roubaix (cette ligne est couramment appelée la « MWR »). Toutefois, l’offre reste limitée et les lignes transfrontalières ne sont, bien souvent, que les prolongements des lignes françaises ou belges préexistantes, dans une logique de ramification. La gestion commune des mobilités transfrontalières au sein de l’Eurométropole reste compliquée par la diversité des acteurs et des territoires concernés disposant de leurs propres règles.

Le franchissement de la frontière se fait aujourd’hui presque insensiblement, sans obstacle depuis 1993, en suivant le rue du Vieux-Bureau / N514; les barrières et postes de douane ont disparu même si le « café de la douane », côté français, en entretient la mémoire. Pourtant, le paysage qui défile le long de l’axe routier reflète la persistance d’un effet frontière. Ainsi, à peine la frontière franchie en venant de France, c’est la densité élevée de boutiques proposant tabac (la devanture d’un vaste commerce accumulant les enseignes et les publicités accueille le visiteur français ; deux autres tabacs suivent sur le seul tronçon figurant sur l’image), essence, pralines ou « friture » qui inscrit dans le paysage une discontinuité peu ressentie par le seul franchissement de la ligne séparant les deux pays. Du côté français, la présence de commerces le long de la frontière est bien moindre et le quartier est très largement résidentiel ; toutefois, plus loin à l’ouest, s’esquissent une zone commerciale et des hypermarchés dont l’aire de chalandise s’étend jusqu’en Belgique ; il en est de même pour le magasin outlet de l’enseigne tourquennoise Vert Baudet dans l’angle nord-ouest (sheds rouges). Dans la même zone, le magasin Kréabel mise quant à lui sur une stratégie différente, en proposant aux consommateurs du nord de la France d’acheter à Tourcoing des « meubles belges ».

Ponctuellement, cette frontière interne de l’espace Schengen peut toutefois retrouver un rôle de barrière. Ainsi, dès mars 2020, la crise sanitaire causée par le coronavirus provoque le retour, à travers la rue du Vieux-Bureau / N514, de dispositifs de filtrage (grilles, blocs de béton) et de patrouilles belges ne laissant passer que les travailleurs transfrontaliers dotés d’une attestation.

Documents complémentaires

Bondue, un espace résidentiel privilégié dans sa couronne rurale et agricole aux marges du front d’urbanisation.

La frontière franco-belge dans l’espace compris entre Néchin (Belg.) et Wattrelos (France).

Documents complémentaires

Sur le site Géoimage du CNES

Thomas Deguffroy :  Lille : le dynamisme d’une métropole frontalière ouverte sur l’Europe

Références ou compléments bibliographiques

Site de Lille Métropole (nombreuses cartes, atlas, documents d’aménagement) : 

Laurent CARROUE (dir.), La France des 13 régions, Armand Colin, coll. U, 2017.

Gérard-François DUMONT, « La géographie de l’exclusion dans une métropole bi-polaire : Lille », Outre-Terre, 2012/3 (n°33-34), p. 107-136.

Grégory HAMEZ, Du transfrontalier au transnational : Approche géographique. L’exemple de la frontière franco-belge. Géographie, Université Panthéon- Sorbonne, Paris I, 2004.

Christine LIEFHOOGUE, Dominique MONS et Didier PARIS, Lille, métropole créative ? Nouveaux liens, nouveaux lieux, nouveaux territoires, Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2016.

Didier PARIS, Roubaix face aux enjeux de la métropolisation in : Roubaix : 50 ans de transformations urbaines et de mutations sociales [en ligne]. Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006. Disponible sur Internet

Contributeur

Nicolas Marichez, professeur agrégé d’histoire-géographie, lycée Anatole France, Lillers

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